Les plus grandes réussites sont parfois attribuables aux facteurs les plus improbables. Dans les années 1990, quelques universitaires croyaient fermement que notre pays ne récoltait pas les avantages économiques et sociaux qu’offre l’une des sciences les plus mal comprises et sous‑estimées. Ces mêmes universitaires ont depuis démontré – de façon fort convaincante d’ailleurs – que les sciences mathématiques et statistiques peuvent accroître la compétitivité des entreprises et l’employabilité des étudiants diplômés.
À cette époque, cette idée a suscité sa juste part de scepticisme, mais aussi l’intérêt de quelques champions influents au sein des Réseaux de centres d’excellence (RCE). En 1998, après avoir examiné environ 80 candidatures, le Comité de sélection des RCE en a choisi quatre, notamment le réseau des Mathématiques de la technologie de l’information et des systèmes complexes (MITACS).
L’objectif du réseau MITACS était de surmonter les principaux obstacles auxquels sont confrontés la communauté universitaire, ainsi que les personnes et les secteurs qui pourraient profiter le plus des techniques, outils et méthodes mathématiques et statistiques de pointe.
Arvind Gupta, chef de la direction de Mitacs; Nassif Ghoussoub, directeur scientifique du réseau Mprime; et Brad Bennett, président de Mitacs
En 2011, lorsque la subvention des RCE destinée aux sciences mathématiques a été transférée au réseau Mprime, non seulement ce modèle de collaboration a fait augmenter de 10 p. 100 les inscriptions aux programmes d’études supérieures en mathématiques (comparativement à une réduction de 7 p. 100 aux États-Unis), mais il a aussi permis à plus de la moitié des titulaires d’une maîtrise et d’un doctorat d’obtenir un emploi dans les entreprises partenaires.
L’établissement de relations avec le secteur privé a été une priorité pour le réseau dès le premier jour de son existence. Dans le réseau original MITACS, 54 scientifiques universitaires et 303 étudiants travaillaient avec 93 partenaires. En 2011, dans le réseau Mprime, 377 scientifiques universitaires de 32 disciplines différentes (dont 52 p. 100 étaient des disciplines autres que les mathématiques et la statistique) et 739 étudiants travaillaient avec plus de 650 partenaires de secteurs aussi diversifiés que la santé, la médecine, la technologie de l’information, la fabrication, l’environnement, les finances, les communications et la sécurité. La majorité des partenaires du réseau Mprime – quelque 80 p. 100 – proviennent de l’industrie – petites, moyennes et grandes entreprises. Collectivement, ils fournissent chaque année 1,5 million de dollars au réseau.
Dossier de recherche du réseau Mprime (2008‑2011)
Actuellement, la priorité du réseau Mprime est de trouver des moyens de conserver ces liens. Son mandat de 14 ans s’est terminé en 2012, et les fonds de transition fournis par les RCE l’aident à trouver de nouveaux parrains pour poursuivre les activités de réseautage et de sensibilisation de l’industrie. À la demande du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, un groupe de haut niveau qui comptait des intervenants du réseau Mprime a récemment produit un plan à long terme qui recommande plusieurs options. L’une d’elles est que le réseau Mprime devienne la branche d’innovation d’un nouveau réseau qui regrouperait les instituts actuels des sciences mathématiques et statistiques du Canada.
« Le réseau Mprime a prouvé que les mathématiques ne sont pas purement théoriques – elles peuvent servir à relever les défis auxquels sont confrontées toutes les entreprises, déclare Nassif Ghoussoub, directeur scientifique du réseau Mprime et l’un des fondateurs du réseau MITACS. Ce que nous avons accompli grâce à la collaboration n’est rien de moins qu’une révolution. »
Le réseau dont l’administration centrale est installée en Colombie-Britannique a remis en question la mission traditionnelle des RCE. Il a élaboré un nouveau modèle pour la collaboration en recherche université‑industrie qui a amené les entreprises de tous les types et de toutes les tailles à participer à chaque étape de l’organisation. Des personnalités d’entreprises canadiennes sont devenues membres du conseil d’administration et des comités consultatifs du réseau, donnant des avis et des conseils sur la façon de réaliser des travaux de recherche qui sont pertinents pour l’industrie et de former les jeunes diplômés pour qu’ils aient les compétences en recherche et en affaires dont ont besoin d’éventuels employeurs.
« La participation de l’industrie a été notre plus grande réussite, ajoute Arvind Gupta, qui a été le directeur scientifique du réseau MITACS jusqu’en 2011. Les entreprises n’ont pas toujours été conscientes de la pertinence des mathématiques pour leurs activités. Mais prenons l’exemple de Maple Leaf et du problème des aliments contaminés. Nous avons été en mesure de réunir des spécialistes de la biologie cellulaire et des mathématiciens pour régler ce problème. »
M. Ghoussoub est d’accord : « Les réseaux MITACS et Mprime ont eu une attitude proactive plutôt que réactive. Nous nous sommes rapidement attaqués au SRAS, au virus H1N1, à la crise financière de 2008 et aux nouveaux domaines de la nanotechnologie et de l’informatique quantique ».
Les chercheurs du réseau ont aidé une autre entreprise, Shell Canada, à élaborer un modèle numérique pour la biodégradation du pétrole. Dans le cadre d’un autre projet, ils ont travaillé avec Lockheed‑Martin et VisionSmart afin d’améliorer les systèmes complexes utilisés pour les missions de recherche et de sauvetage, la gestion du trafic aérien et la surveillance. Les mathématiciens ont aussi travaillé avec Ballard Power Systems pour accroître l’efficacité énergétique des moteurs hybrides, ainsi qu’avec McCain Foods pour gérer les infestations par le doryphore de la pomme de terre sans utiliser de pesticides.
Légende : Le ministre d’État (Sciences et Technologie), Gary Goodyear, a remis, en novembre 2012, une bourse Mitacs‑Accélération à une stagiaire postdoctorale de la University of Toronto, Lisa‑Marie Collimore.
Le réseau MITACS a trouvé un nouveau moyen de faire participer encore davantage les entreprises individuelles qui souhaitent investir dans la recherche et développement. En 2004, il a lancé un programme pilote de stages dont les coûts étaient partagés avec les entreprises. Dans le cadre de ce programme, les étudiants diplômés faisaient appel à leur expertise en sciences mathématiques et statistiques pour régler des problèmes pertinents pour l’industrie.
« Nous avons pris une communauté universitaire qui avait peu de liens avec l’industrie et déclenché la plus grosse campagne de sensibilisation de l’industrie jamais menée par un RCE. Avant notre apparition, il n’avait jamais été question de demander à l’industrie de fournir une importante contribution financière aux fins des travaux de recherche. Nous l’avons fait dans le domaine des sciences mathématiques. Cela a provoqué une prise de conscience sur la façon de faire les choses. Maintenant, cette contribution est devenue une norme selon laquelle les RCE sont jugés », poursuit M. Ghoussoub.
Le succès qu’a connu ce programme pilote a incité les RCE à créer le Programme de stages en recherche et développement industrielle qui, en 2008, a accordé 8,6 millions de dollars au réseau MITACS pour élargir sa portée dans l’ensemble du Canada et dans des domaines autres que les mathématiques.
« De nombreux diplômés en sciences mathématiques quittaient le pays pour trouver un emploi dans leur domaine, explique M. Gupta. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous avons lancé le réseau et le programme de stages. Nous avions besoin de programmes qui aideraient les entreprises à intégrer des outils et des méthodes mathématiques complexes à leurs activités d’innovation et qui donneraient aux étudiants la possibilité d’étoffer leur curriculum vitæ pour obtenir un emploi au Canada. »
En raison de la réussite du réseau sur les fronts de la recherche et de la formation, il a été décidé, en mai 2011, de le diviser en deux organisations distinctes : Mitacs Inc. s’occupe maintenant exclusivement de la formation et des stages dans toutes les disciplines universitaires et dans tous les secteurs industriels, alors que le réseau Mprime finance des partenariats de recherche université‑industrie en sciences mathématiques et statistiques.
« Il est difficile de dire à votre conseil d’administration que vous refuserez désormais des fonds annuels de 5,4 millions de dollars (puisque les fonds des RCE ont été réattribués au réseau Mprime), poursuit M. Gupta, qui est devenu le chef de la direction et le directeur scientifique de Mitacs. Mais nous savions qu’il était temps que le programme de stages soit autonome. Il est en voie de devenir l’un des plus importants legs des RCE. »
Aujourd’hui, Mitacs gère l’un des plus importants programmes de stages du Canada destinés aux jeunes chercheurs. Ce programme intègre les problèmes de l’industrie aux programmes d’études supérieures en recherche, permettant aux jeunes chercheurs d’acquérir des compétences pour qu’ils soient aptes à travailler et proposant aux entreprises des solutions qui augmentent leur productivité et leur compétitivité.
Le programme financé par les RCE – Mitacs‑Accélération – fait maintenant partie de la série des cinq programmes de recherche et de formation créés et gérés par Mitacs, le plus récent étant Globalink, une initiative internationale qui met en relation les chercheurs talentueux des universités canadiennes avec les chercheurs talentueux de l’Inde, du Brésil, de la Chine et du Mexique. Les bourses offertes dans le cadre de ce programme sont financées par de nombreux partenaires : le gouvernement fédéral, neuf gouvernements provinciaux, 58 universités canadiennes et des centaines d’entreprises.
Au fil des ans, le programme Mitacs‑Accélération a financé des milliers d’étudiants de cycles supérieurs et de stagiaires postdoctoraux, notamment 1 300 stagiaires qui ont travaillé dans plus de 580 entreprises en 2011‑2012. En janvier 2013, le ministre d’État (Sciences et Technologie), Gary Goodyear, a annoncé pour Mitacs de nouveaux fonds de 35 millions de dollars sur cinq ans, qui permettront de porter à près de 2 000 le nombre de stages annuels. En janvier 2013, Mitacs a conclu avec l’entreprise de technologie de l’eau Trojan Technologies un accord qui porte sur le cofinancement de 100 stages de quatre mois au cours des quatre prochaines années. Il s’agit de la plus importante contribution faite par une entreprise jusqu’à maintenant.
« Le plus grand atout de Mitacs est d’être capable d’accéder rapidement à l’expertise qu’une entreprise n’a pas, conclut Domenico Santoro, chercheur principal et chef d’équipe de recherche chez Trojan Technologies. Il nous aide à établir des relations de collaboration extrêmement efficaces avec les universités. Cette expertise est très recherchée et suscite beaucoup d’enthousiasme, car elle peut accélérer l’innovation. »